
# 92 Abordés en haute mer par un bateau entre le Brésil et la Guyane - devinez pourquoi ?
16 avril, 150 milles, dix de plus qu'hier au 2º32'617 sud ; 39º22'756 ouest, c'est pluto?t pas mal et comme l'heure est matinale, mon capitaine a dans l'ide?e de raccourcir un peu notre route en coupant dans la zone des cent me?tres. Ce trace? visiblement sous tutelle des pe?cheurs, n'e?tant pas sans les inconvenants qu'il y suppose, nous allons devoir rester vigilants et en sortir avant la nuit. Large sur l'eau, les canots en bois d'environs dix me?tres, munis d'un seul habitacle servant de poste de pilotage trainent a? leur bord, cinq voir six man?uvres. Avant de savoir leur technique de pe?che, chaque de?tail est un indice sur leur convention, sommes-nous devant des chaluts, dans ce cas, nous devons passer par leur avant, sommes-nous en pre?sence de palangriers a? la de?rive, de cette hypothe?se, mieux vaut viser la poupe, les embarcations forment-elles des bino?mes, sous cette supposition, il est judicieux d'e?viter de passer entre les deux, mais cette fois-ci, nous n'aurons pas a? observer bien longtemps, la re?ponse vient a? nous d'elle-me?me ! A? deux encablures de nous, brisant la houle de face, s'en vient par notre tribord, un de ces skiffs. Pre?voyants l'e?ventualite? d'une demande, bien scelle?s, deux paquets de cigarettes e?taient pre?ts a? e?tre catapulte?s, quant a? l'approche du sujet de nos interrogations, les bras d'un des pe?cheurs, tendus vers le ciel et prolonge?s de deux belles grappes de crustace?s, nous donnent le de?nouement a? nos questionnements ! Nos investigateurs sont des langoustiers, ce qui nous libe?re de toute confusion et de circonstance, nous ravis de l'opportunite? qui nous est propose?, d'un troc en pleine mer de tabac contre langoustes ! Nous sommes repus, neuf langoustes, nous n'en demandions pas tant, a? vrai dire nous n'avons rien demande?, c'est eux, munis d'un grand sourire e?dente? qui nous ont jete?, sur le pont, en s'approchant pre?cautionneusement, les belles bre?siliennes dans un sac de jute, certainement heureux de leur e?change, ils venaient de ranimer en nous, ce que l'on aime par-dessus tout dans l'aventure, le pittoresque de l'impre?vu ! Il me semble qu'il faut une certaine dose de fatalisme pour se laisser porter dans l'obscurite? aux gre?s des vents et des courants, doctrine a? laquelle s'ajoute l'instinct, l'instinct qui malgre? tout, sans le recourt a? la re?flexion, nous fait agir naturellement ! Uni avec son bateau, mon capitaine devine, perc?oit ! Engourdie dans un demi-sommeil, confus, il pressent, il sent ! D'un ?il sondeur, il veille et toujours au bon moment, il est pre?t a? bondir. Inde?libe?re?ment, c'est a? ce moment pre?cis qu'il sait? Le vent monte, bien qu'imperceptible dans le carre? par son confort, un grain sec s'active, les 36 n?uds sont biento?t atteints, tout est sous contro?le? Quatre jours que nous longeons de loin la co?te du pays qui tient son nom d'un bois dur de ses fore?ts, le Bre?sil ! Les 562,1 milles qui nous se?parent de Jacare, au point 1º51'771 sud ; 41º31'493 ouest, nous ont fait de?passer Galhinos, Fortaleza et biento?t Lenc?ois, ou? il est arbitre? que nous ne nous arre?terons pas, non pas par manque d'envies mais par prudence ! E?tant a? l'exte?rieur de la ligne des deux cent me?tres qui parait e?tre la limite subaquatique du plateau continental, nous sommes porte?s par le courant et ne courons aucun risque avec les pe?cheurs, puisque seuls des cargos y circulent, or si nous prenons la directions des dunes de Lenc?ois, il y a de fortes chances pour que nous soyons oblige?s de slalomer dans un de?dale de hauts plateaux, mine?s de canotiers et de surcroit en pleine nuit et me?me si mon de?sir de nous approcher des terres, pour au moins pouvoir envoyer des nouvelles a? nos petits, me tenais a? c?ur, je dois reconnaitre que notre se?curite? vaut bien le report. Cependant, je reste contrarie?e ! L'abonnement Iridium d'un mois que nous avions e?tant termine?, nous avons de?cide? par e?conomie de poursuivre notre route sans, mais en absence de cette connexion, pas moyen de rassurer Jonathan et Claire et cela me chagrine ! Dans cette situation je ne peux m'empe?cher de penser a? l'e?poque Moitessier, lorsque les proches devaient parfois attendre plusieurs mois avant d'avoir des nouvelles, ou par chance, quand un cargo passait dans les parages d'un voyageur, un message pouvait alors e?tre relaye? a? terre, mais il fallait se faire a? l'ide?e de vivre dans l'incertitude ! En me voyant attriste?e de cette affaire, il s'en est fallu de peu pour qu'a? l'appel Vhf de l'immense ba?timent de 362 me?tres, nous informant l'intention d'un passage par tribord, mon Tchoupi demande de transmettre le bon de?roulement de notre navigation a? l'e?quipage de Sagar Rani ! Le ciel bien de?gage? depuis quatre heures de la cotonnade que nous lui connaissons depuis plusieurs jours, nous nous attendions a? une association courbe jaunie sur platitude scintillante d'une pure beaute?, mais c'e?tait en sous-estimant la rapidite? a? laquelle...
